Pêche aux canards

Aujourd’hui, nous sommes allés à ta première fête foraine et tu as fait ta première pêche aux canards.

Tu as à peine plus d’un an alors autant te dire qu’on en a plus pêché que toi des canards, pour remplir ton petit sceau ! Mais c’était si mignon de te voir essayer de les attraper du bout de tes petits doigts.

Ce soir, comme à chaque étape importante de ta vie mon amour, j’ai une photo. Une photo de toi essayant de pêcher les canards et de ton père, te tenant. Une énième photo d’une énième étape sur laquelle je suis une énième fois totalement absente.

Cela fait un peu plus d’un an que je découvre la maternité. Les bonheurs multiples qu’elle procure, l’Amour qu’elle fabrique, les difficultés auxquelles elle confronte mais il y a cette chose à laquelle je n’étais pas préparée : chaque étape, chaque moment, chaque joie, chaque bonheur, chaque vêtement… a tout juste le temps de commencer que déjà il s’enfuit immuable, inéluctable, inexorablement.

Alors à défaut d’avoir réussi à écrire souvent et régulièrement, je dégaine rapide le téléphone pour graver les images de toi qui grandis, qui souris, qui te mets debout, qui applaudis, qui ris aux éclats… Dans les moments importants, je fais en sorte qu’une image reste pour qu’en la feuilletant plus tard nous puissions nous remémorer ces instants. Altruiste moteur, j’essaie de n’oublier personne aux anniversaires, aux réunions de famille, aux balades, aux fêtes. Je veux que tu aies des images de toi avec Papa, avec Papy, avec Mamy, Tata, Tonton, tes cousines… pour qu’il y ait une trace, pour qu’un souvenir reste des instants partagés.

Puis le carrousel du téléphone défile, puis je mets en page un album mais je ne suis pas là…

Ma présence à tes côtés sur les photos est inversement proportionnelle au temps que je te donne. On dirait un mauvais théorème de mathématiques, une réciproque erronée.

Depuis que tu es né, je suis là. Tu ne vas ni à la crèche, ni chez la nourrice. Nos métiers un peu « hors-format » nous ont poussé ton père et moi à faire le choix de te garder nous-mêmes en jonglant sur nos plannings. D’ailleurs parlons-en de mon planning à triple entrées… Les jours (et nuits) travaillés de ton père, les rendez-vous chez la pédiatre, les mariages, anniversaires, ton baptême… un code couleur pour y voir plus vite et plus clair quand il s’agit pour moi de répondre dispo ou pas à un contrat de travail (merci intermittence !)… parce que oui tout de même, j’y mets aussi le mien de planning dans mon agenda à triple entrées !

Depuis que tu es né, je suis là. Parce que ce choix de te regarder grandir, de confectionner tous tes repas à base de produits principalement frais, de te laisser le temps de vivre tes journées sans courir après les heures de nounou ou de garderie, me demande d’énormes compromis sur ma vie professionnelle. Évidemment t’allaiter neuf mois valait largement la fin de tournée d’Alain Souchon, tes premiers « Ma-mmma » étaient bien plus grandioses que Bercy et l’Olympia réunis et tes premiers pas seront nettement plus fondamentaux qu’Indo au Stade de France. (Je te parlerais un jour de la passion dévorante que j’éprouve pour mon métier)

On est loin de la pêche aux canards non ?! En fait… non, pas vraiment. Je suis là. Le matin quand tu te réveilles, je te câline, fais ton petit déjeuner, te change, joue. Quand tu fatigues, que tu frottes tes yeux, que tu es grognon, c’est « Ma-mma » que tu réclames. Quand tu dors le matin, je prépare ton repas pour qu’il soit prêt dès la fin de ta sieste. J’organise mes sorties : promenades, courses, magasinages entre ta sieste de l’après midi et le bain du soir. Cela m’a pris plus d’un an pour me remettre à jardiner un peu sur le balcon, plusieurs mois pour me poser quelques minutes sur le canapé et regarder la dernière saison de Walking Dead et ma pratique du yoga est encore aujourd’hui bien trop exceptionnelle.

J’ai cuisiné avec toi en écharpe parce que tu ne voulais pas dormir dans ton berceau. J’ai mangé d’une main te tenant au sein de l’autre bras parce que c’était aussi l’heure de ton repas. Je me suis contorsionnée dans le lit pour que tu puisses dormir contre moi sans tomber et sans être étouffé. Tu es accroché à mes jambes du matin au soir justement parce que je suis là.

Tu as beau avoir quitté ma poche kangourou ce 20 mars 2021, tu ne cesses d’être un prolongement de moi, mon troisième bras, mon cinquième membre !

Alors oui, je la trouve injuste cette pêche aux canards ! Ce matin je suis venu te chercher quand tu as pleuré dans ton lit. Ton père dormait car il travaillait de nuit. Je t’ai donné ton biberon puis je t’ai occupé pour pouvoir laver toute la maison. Ton père avait un rendez-vous. Après le ménage j’ai préparé ton repas, puis le nôtre et nous avons déjeuner. Cet après midi, quand tu as crié « Maman ! » en pleurant au réveil de ta sieste, c’est moi qui t’ai cajolé, rassuré, consolé. Nous avons regardé un documentaire animalier puis j’ai préparé ton goûter et te l’ai donné. Ton père s’est alors levé de sa sieste.

La fête foraine, c’est moi ; c’est moi qui ait voulu t’y amener pour que tu vois autre chose que les quatre murs de notre appartement ou son balcon. La pêche aux canards, c’est moi qui ait souhaité te l’offrir pour que tu vives un moment différent, amusant, heureux !

Tu as à peine plus d’un an alors tu ne t’en souviendras pas. Cette journée restera dans un de ces tiroirs verrouillés de ta mémoire mais nous pourrons nous en souvenir ensemble, en feuilletant les albums photos.

Tu t’y verras toi avec ton épuisette et ton père te tenant dans ses bras.

Et si tu me demandes alors pourquoi je ne suis pas près de toi… Je te raconterai la douce odeur de tes cheveux quand je t’embrasse tendrement. Je te dirai ton petit corps blotti contre le mien qui doucement s’endort dans la chaleur de nos câlins. Je te parlerai de tes rires quand nous jouons et chahutons. Je te rappellerai nos repas en tête à tête et la fourchette qu’inlassablement tu fais tomber par terre. Je te confierai toutes ces histoire lues et relues soir après soir, sieste après sieste avant de t’endormir.

Alors mon garçon tu comprendras que la réciproque est tout aussi fondamentale que le théorème lui-même…

Si le temps que je t’ai donné est inversement proportionnel à ma présence sur les photos, la distance parfaite entre mes bras est égale au carré de la somme des battements de nos deux coeurs.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *